Mon dernier papier dans les Echos. Europe, marque et mythe. (1)

Europe et marketing territorial

La France n’est plus le centre géographique de l’Europe. La bataille intracommunautaire que chaque pays du continent mène pour attirer les entreprises étrangères sur son territoire risque de durer longtemps.

Un territoire répond aux mêmes exigences marketing d’attractivité et de préférence qu’une marque : attirer des habitants, des touristes et des entreprises. Développer son business. Mais dans le cas de l’Europe, comment réussir sans « jouer » contre son voisin ?

Lorsqu’on demandait à cette « PME chinoise » (20.000 salariés) pourquoi elle avait choisi cette ville perdue au centre de la France, son manager répondait : « La France est au centre de l’Europe et cette ville est au centre de la France. » Choisir l’Europe dépend souvent de cette logique factuelle. Jadis, la France, au centre géographique d’une Europe restreinte, en profitait. Elle ne l’est plus dans le cadre d’une Europe élargie. Les entreprises mondiales doivent se positionner en Europe, mais encore leur faut-il sélectionner le « bon endroit ».

Le prochain enjeu marketing de l’Europe

Or, choisir un emplacement pour une future implantation relève de quatre paramètres. Les mêmes que pour le choix d’une voiture. L’aversion au risque d’abord (infrastructures, sécurité…), l’intérêt (change, fiscalité…), l’accueil (climat, empathie…) et la découverte de nouveaux potentiels (le développement commercial, culturel, sociologique…). Les trois premiers critères résultent de l’analyse du passé ou du présent, le quatrième d’un désir d’avenir. Pour clore le tout, les décideurs finiront par déterminer l’endroit où ils ne veulent surtout pas être. Car « le moi se pose en s’opposant ».

Voilà pourquoi le marketing territorial est un subtil mélange du marketing comparatif des « pièges à éviter », pièges économiques, politiques, sociaux, culturels… Dans le choix d’une implantation en Europe, ce sont toujours les pays et leur capitale qui « font le job émotionnel ». Dès lors, la bataille intracommunautaire risque de durer longtemps. Pour l’éviter, à l’instar des grandes marques automobiles, l’Europe se doit de devenir à la fois marque et mythe : raison et passion. C’est son prochain enjeu marketing.

1. Europe, bon mythe, mauvaise marque (François Bourin éditeur. mai 2014)

 

Pour E-marketing, interview C. Heurtebise sur le grand retour du mythe en marketing…et ailleurs

Le grand retour du mythe

Publié le  par Catherine Heurtebise

C’est quoi un mythe ? Une histoire que les humains croient vraie et qui exprime une vision de soi face au monde. Pour le mythologue, rien n’est rupture mais continuité. Explications de Georges Lewi mythologue, spécialiste des marques, consultant, écrivain.

 

Georges Lewi

C’est à l’occasion de la journée nationale des études 2014organisée par l’UDA et l’Adetem que nous avons rencontré Georges Lewi, lequel a accepté de revenir nous parler du grand retour du mythe.

Georges Lewi est un ex-professeur associé du Celsa et d’HEC. Il est également directeur adjoint des Librairies Decitre ainsi que fondateur d’High Co Institute et de Bec-Institute.

C’est quoi, concrètement, un mythologue ?

Georges Lewi : Mythologue, cela fait sourire. C’est atypique alors que spécialiste du branding, c’est reconnu. Je suis mythologue depuis toujours mais c’est depuis trois ans que je travaille en solo. Les mythologues comme Jean-Pierre Vernant, ont expliqué la situation politique sociétale dans la Grèce antique mais celui qui l’a appliquée à l’économie actuelle, c’est Barthes. La DS 19, c’est la cathédrale de jadis !Alors que la plupart parlent de rupture, je ne parle que de continuité. La technologie et les modes d’appropriation changent mais les représentations ne changent pas. Les scientifiques ont révélé que le corps humain était fait de 23 paires de chromosomes. Claude Levi-Strauss et les mythologues montrent que l’esprit humain est composé de 23 paires de mythèmes, c’est-à-dire d’oppositions binaires. Jeune/vieux, dominant/dominé, féminin/masculin, vivant/mort, humain/dieu… . Je vais les développer dans un prochain ouvrage sur le storytelling qui sortira en septembre. Le mythologue considère la continuité de la pensée humaine, ses invariants plutôt que les ruptures. Un mythe c’est une histoire que des gens croient vraie.

 

 

Comment, dans notre société en pleines mutations et contradictions, croire au retour des mythes ?

La modernité du mythe réside en son potentiel à organiser les antagonismes d’aujourd’hui et à résoudre les contradictions. Quand j’analyse la société ou les marques, à chaque fois, quand je ne trouve pas d’explication, je la cherche dans un mythe. Ainsi le mythe contemporain en 2014 est celui d’Antigone. Edouard Joseph Snowden, les lanceurs d’alerte, le citoyen… C’est un fait : Snowden a raison, les USA n’ont pas tort. On est sur une aporie, un parallèle de deux logiques bonnes. Internet à fait grossir ce phénomène : n’importe quel citoyen devient un “pro-am”, un professionnel amateur, un terme qui vient du golf.

Pouvez-vous expliquer votre méthode de décryptage des mythes ?

Je cherche quel référent mythique je peux trouver, pas forcément dans la Grèce antique. Il s’agit de comprendre les idées dominantes. Par exemple, Yves Rocher est une marque qui a réussi s’appuyant sur cette vérité : tous les ingrédients de beauté existent dans la nature. Le thé vert, Yves Rocher l’a mis en tube. Cela permet à la société, à chiffre d’affaires égal par rapport à L’Oréal, d’avoir deux tiers de moins d’investissements marketing car le thé vert, il existe dans la tête des gens, vous n’avez pas besoin de l’expliquer à 10 millions d’euros de publicité !

Quelles sont les marques “mythiques” ?

En réalité, soit une marque est mythique soit elle n’existe pas. Mais il faut une cinquantaine d’années d’existence pour qu’une marque soit mythique. La condition sine qua non d’un mythe c’est qu’on ait oublié son origine. Il y a plein de marques qui ne racontent rien, qui ne sont que de la commercialisation. Et c’est pour cela qu’elles ont besoin de plus d’investissements publicitaires pour rester dans la mémoire des consommateurs. Lorsqu’un mythe existe, il perdure. Quelques exemples : Yves Rocher, c’est Gaïa, la nature, la mère. Apple, le nouvel Apollon. Un mythe résout une contradiction et dans les oppositions binaires, vous avez artisans/artiste : Hermès a parfaitement réussi les deux. Facebook, c’est la rencontre qui n’engage à rien. Google, c’est le pouvoir absolu sans le despotisme. Amazon, c’est une servitude invisible. L’Oréal, c’est la jeunesse mais sans l’effort. Samsung, c’est le rêve éveillé. Il y a les marques qui ont trouvé leur mythe et les autres qui courent après et se contentent de faire des coups. Nestlé dans sa logique café a créé Nescafé, s’est approprié le café avec le prolongement Nespresso. Ils ont compris leur mythe de rendre le café accessible.

En quoi les réseaux sociaux changent-ils cette quête de mythe ?

Internet au sens large, et les réseaux sociaux en particulier, sont déjà la résolution d’une contradiction. Avant, ce qui était visible était d’un côté et l’invisible de l’autre.Internet est une passerelle entre l’invisible et le visible. On voit de l’autre côté du miroir. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire. Wikipédia, c’est le savoir sans apprendre.

 

Un essai, puis un roman(*) sur la génération Bovary. Pourquoi cette passion ?

Depuis ma préparation de l’agrégation, j’avais très envie d’écrire la suite de Madame Bovary. J’ai enfin trouvé la forme. J’ai voulu comprendre cette génération que j’appelle “Bovary” et volontairement pas Z (car derrière, il n’y a plus rien !). J’ai donc suivi 200 jeunes entre 15 et 24 ans et j’ai découvert une génération très différente des Y. Ces jeunes sont nés dans la logique des réseaux sociaux, et contrairement aux Y très égoïstes et individualistes, c’est la génération de la rencontre, de la microcommunauté. Même quand vous leur proposez un job, ils demandent à leurs amis et les écoutent ! Ce partage est très nouveau. Depuis 1968, nous n’avions pas connu de tels microblocs éclatés.

Ces “nouveaux Bovary” sont-ils en train de réussir à vivre autrement?

La rubrique Influencia sur mon dernier ouvrage: Europe, bon mythe, mauvaise marque*.

Décryptage du mythologue. Europe, bon mythe, mauvaise marque !

PUBLIÉ LE 08 MAI 2014
Décryptage du mythologue. Europe, bon mythe, mauvaise marque !

 

Affolement, une fois de plus, à propos de l’Europe. Pourquoi ça ne marche plus ? Lorsque les journalistes, décodeurs avisés, ne comprennent pas ce qui se passe, c’est que les clés de lecture « classiques », la politique, les nations, la crise…ne sont pas les bonnes.

 

Un mythe est une histoire que les gens croient vraie, une marque est une histoire que les gens achètent. Or les Européens ont cru à l’Europe, passionnément pour certains mais désormais ils n’achètent pas « la marque » qui reste sur les étagères…

 

 

Europe, un bon mythe

 

Les Européens ont vécu, il y a 60 ans, un conte de fée. Aucune génération depuis la nuit des temps n’avait vu cette partie occidentale du continent en paix. Et voici qu’avec la paix, déjà incroyable, était annoncé le retour de l’âge d’or : le mythe des mythes, le plus universel qui soit. Car avec la paix, les « pères de l’Europe », au caractère initialement économique ont promis le bien-être et avec l’intégration progressive des pays, l’équité entre les gens, du nord, du sud, de l’ouest, de l’est…C’était sans doute trop promettre mais comme toujours, lorsque l’histoire est belle, les citoyens ont tendance à croire à ce « storytelling ». Victor Hugo en avait rêvé.Monnet l’a fait ! Mais un mythe, si beau soit-il, a besoin d’être nourri pour rester crédible.

 

 

Europe mauvaise marque

 

Or depuis 2005, rien ne va plus. Les élites, comme on dit, sont obligées de « passer en force » pour que la machine ne soit pas bloquée. Les dernières intégrations se sont faites, quasiment, de façon clandestine. Les élections s’annoncent comme un referendum pour un ”contre l’Europe”, comme si l’élection à la présidence de la république était une élection pour ou contre la France. Inouï ! C’est que le beau mythe a été saccagé par une gestion catastrophique de la marque. Or, Europe est une marque de «groupe », une marque « corporate » qui a pour vocation « puissance et culture ». Les règles de gestion de ce type de marque sont simples : parler d’une seule voix, assurer la puissance du groupe, veiller à éviter une concurrence interne entre les « marques-filles », assurer l’équité et veiller à ce que chacun travaille dans un certain bien-être.

 

Or en Europe, aucune de ces règles n’est observée. A commencer par l’absence d’émetteur. On ne sait pas qui est Europe : la commission, le conseil des ministres, le parlement, les différentes instances juridiques…Il manque une visibilité à défaut d’un leader charismatique et visionnaire. La concurrence (en particulier fiscale) interne entre les marques filles est incompréhensible. Au lieu de se battre contre les puissances hors du groupe, Europe veille à ce qu’il n’y ait pas de « marques puissantes » au sein du groupe. Ainsi s’en vont des pans de l’économie, et les emplois avec…Europe, la peur d’être leader ?

 

Les citoyens-consommateurs rêvent du « masstige », (le prestige de masse) : une belle marque pour tous, avec des flagships dont les Européens puissent être fiers .Or Europe est laide et absente. Ses signes sont anciens, elle n’a toujours que 12 étoiles au drapeau et il est bien difficile de « rencontrer » Europe quand on le souhaite. Europe ressemble désormais à ces « vieilles marques» qui ne font rêver que ceux qui n’ont pas les moyens de se les offrir mais dont ses consommateurs ne veulent plus. Heureusement, on sait qu’en branding, aucune cause n’est définitivement désespérée !

*G. Lewi. Europe, bon mythe, mauvaise marque. François Bourin. Editeur. 150 pages. 14 €